Les disparitions discrètes

Des cauchemars sourds hantent ma nuit, et j'ai la fièvre, et le bas du dos en feu. Dès potron-minet je déplie le corps coagulé, j'ouvre fenêtres et volets et je ramasse les feuilles qui volent. Incapable de me rendormir mais incapable de bouger. Je reste fixée sur le ciel noir et je me rendors la bouche ouverte. J'ai un torticolis maintenant... Et je suis éreintée.

Nouvel univers aseptisé de calme en bibliothèque, de ces vieilles bibliothècaires qui prennent le café toutes les demie-heures et des plus jeunes qui discutent théâtre et poésie contemporaine toute la matinée en évitant de ranger les albums pour les gosses. Puis l'ouverture au public. Les gosses qui piaillent joyeusement, les chiens qui attendent à l'entrée, le vieux qui me parle de Nietzsche "ça nous rajeunit pas le gai savoir", ah ça non papi, la vieille qui a oublié ses lunettes et qui arrive pas à lire la date sur le Canard Enchaîné, la maman qui arrive avec le bébé sur le ventre, bien calé entre ses seins, la gamine qui me regarde avec ses yeux ronds, les allemands qui me parlent anglais pour réserver une heure d'internet, ...

Deux heures pour bouffer, retrouver Franck à défaut d'Anabelle, acheter cadeau Agathe, place pour fourvière, traîner à la Fnac quoi, passer une demie-heure à faire la queue à la poste en matant du coin de l'oeil un type qui fait franchement gay, même lorsqu'il tousse, et encore plus quand il parle au téléphone, racontant sa vie "Oui ce soir j'invite Muriel et mon frère, je veux qu'il m'installe des étagères dans ma nouvelle salle de bains, ce n'est donc pas une invitation désintéresée". Ca me fait doucement sourire malgré le vent énervant.

Retrouver l'univers palpitant de Philippe Besson, après une biographie fictive de Proust, me v'là embarquée dans un journal fictif écrit par Isabelle Rimbeau lors de la fin de la vie de son frère, jambe coupée à Marseille et les yeux bleus pleins de rêves africains, les cheveux blonds et le front trempé de fièvre.

Puis je vois pour la seconde fois Virgin Suicides, le genre de film néant, époustouflant de rien, et donnant un sourire mi-figue, mi-raisin. J'ai juste envie de faire des clins d'oeils avec le bruit de Lux.

Apprendre que Esther et Yuva quittent l'appart l'année prochaine, alors ça c'est THE scoop du jour, et c'est pas du tout le genre de disparition discrète que j'apprécie, puisque ça claque toujours autant du talon. Mais ça fout la pêche au moins pour le restant de la semaine...

Ah ouais donc, les disparitions discrètes. J'suis pas du genre comme ça, mais j'avoue ça m'arrange bien, c'est tellement plus poli et moins fatiguant pour l'entourage. J'suis plutôt du style bain de sang et bataille de boue, s'arracher cheveux et yeux et être hors d'haleine le corps sécrétant une odeur dérangeante. Mais se sentir propre de toutes les invasions et ensuite toutes les évasions. Et vas-y que je te sors du ring à grands coups de pieds au cul ! Transpiration mais quel soulagement. Respiration. On reviendra pour la discrétion.

~ Oreille ~ Long time coming ~ The Delays