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Shotgun
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2 avril 2006

L'heure fixe du plafond

J'ai dû arracher de l'herbe, creuser un trou en faisant voler la terre au-dessus de moi. Sans doute. J'ai les ongles sales et le regard amer, fatiguée de tout cet immondice, de l'émergence de l'hypocrisie pour arriver à mes fins. J'étouffe, la fenêtre en grand ne m'est pas d'un immense secours, les bourdons s'y inflitrent et martyrisent mes oreilles, et je retrouve la peur infantile de ces bestioles en criant et tremblant, cachée sous ma couette bleue, à demander que quelqu'un s'occupe de ce truc et le tue, et j'en sortirai que lorsque je verrai son cadavre immobile dans un sopalin noir de sang séché. Alors ça me brise ma journée, méchament. Le plafond est moche, mes murs sont moches. Je vais tout y enlever, j'ai passé l'âge, ça me rappelle trop de choses. Tous ces murs que j'ai tâcheté de jolies figures de gens à la guitare. Tout m'épuise et j'suis feignante d'ouvrir les yeux, écarter les doigts, faire à manger. Juste ces gestes là.

Tatônner au bas du lit, les yeux collés de sommeil, la gorge sèche, faire tomber la bouteille d'eau, les fringues au bout du lit, renverser le cendrier sur mes livres propres, trouver le paquet, l'ouvrir et en apprécier le petit bruit de ce boîtier quasi luxueux, sortir la cigarette blanche, son odeur âcre du goudron mouillé, prendre le briquet, relever les cheveux de sa frange pour ne pas les brûler, porter ce goût entre les lèvres gersées, tousser, grimacer, se tordre de douleur en se tenant le ventre, puis recommencer, amener la clope à la bouche, le briquet sur le bout, le flash de la flamme à travers les paupières closes qui se répercute comme un feu d'artifice, brouillant quelques secondes la vue, aspirer goûlument, sourire et tousser, pas réveillée, se rendormir à la fin en ayant essayé de trouver une place libre dans le cendrier encore rempli.

Tout va bien. Oui. Les gestes mécaniques de la survie. En kit réduit. S'accrocher au bruit de gorge d'un moineau et se lever. Balancer les pieds dans le vide, se prendre la tête dans les mains en se frottant les tempes et emmêlant ses cheveux trop fins de bébé.

Couchée à 6h du mat', levée à 15h. Rendormie à 18h, relevée à 20h. S'ennuyer ferme. Avoir juste envie qu'on me foute la paix. Avoir des sueurs froides quand le téléphone sonne en espérant fortement qu'il ne soit pas pour moi, éviter cette famille encombrante qui me suce la moëlle. L'oublier un tant soit peu et se la rappeler avec des messages désespérés de mon vrai père et de ma grand-mère. Ils me réclament des lettres que je ne veux pas écrire. Celle de ma grand-mère traîne dans la pochette extèrieure de mon sac, avec un timbre et l'adresse au dos de l'expéditeur, manque juste la sienne que je n'ai pas et elle qui me la répète dans ses messages vocaux que je n'écoute jamais jusqu'au bout. Et mon vrai père, avoir tant espéré qu'il m'appelle cet été quand j'étais au plus mal par sa faute, et le détester de ses coups de fils qui durent même pas trente secondes "Encore une fois je n'arrive pas à t'avoir, ici tout va bien, bisous". Et j'en pleure de douleur de ne même pas avoir envie de parler à celui que j'ai appelé PAPA dans mon répertoire. Se souvenir point par point de toutes ces choses qui m'ont bousillé mon enfance. Balladée tous les 15 jours d'un foyer à un autre. Mon père qui vient me chercher à la sortie de son boulot, moi qui finit en vitesse mon assiette pendant que mon beau-père lui fait la discussion dans le garage, ma mère qui me souhaite bon courage et mon frère qui pleure de voir sa grande soeur partir. Un trajet de 3/4 d'heures en voiture, Férolles, Jargeau, Sully/Loire, la nationale 20, Chécy, les voitures qui fusent le long de mon nez collé à ma fenêtre, Ormes, la descente de voiture et le coeur qui se serre en entrant dans cette maison aux meubles sombres, se forcer à faire la bise à sa belle-mère qui regarde le téléfilm du samedi après-midi sur M6 en train de repasser, ma soeur qui sort de sa chambre pour me dire bonjour, mon petit frère qui ne veut pas me faire un bisou car on n'a pas la même mère, moi qui m'enferme direct aux chiottes avec des chaussons aux pieds que je n'aime pas, je ravale quelques larmes en jouant avec le rideau qui cache le ballon d'eau chaude, puis me faire engueuler car mes bagages traînent encore dans le salon. Voir ce lit aux barreaux de mon enfance quand mes parents vivaient encore ensemble, la couverture douce aux carrés rouges et blancs, rien d'autre à moi ici à part ce lit que j'exècre. Puis un jour, plus de lit, devoir dormir dans le canapé en allant au boulot, derrière mon père sur sa moto. Passer un mois de fausses vacances, le nez dans l'oreiller à pleurer toutes les larmes de mon corps, de ne pas se sentir à sa place dans cette seconde famille fictive et si peu accueillante. Mon père qui porte toujours le parfum que ma mère lui avait offert 20 ans plus tôt, toujours amoureux. Ma belle-mère et ses vacheries "Non, elle, ce n'est pas ma fille". La pestiférée qui se cache derrière un visage fermé, mortifiée de leur parler. Et ce petit garçon quand j'étais au CP "Il ne faut pas l'embêter, ses parents sont divorcés". La différence, à 6 ans. Le ventre de ma mère qui se gonfle d'un petit frère qui naîtra d'une tête en poire et d'une clavicule cassée. Mon beau-père avec qui je mange des tomates dans le bain, qui m'apprend à faire du vélo avec un dessin de coccinelle sur la tête, avec qui je fais des concours de cordes à sauter. J'ai ce souvenir de cette virée nocturne dans Orléans, de cet accident de voitures que j'avais vu et moi qui jurais mes grands dieux que jamais jamais je n'apprendrais à conduire. Puis le voyage encore et encore avec mon vrai père où je n'ai rien à lui dire à part parler de l'école, de mes copines et de mes mecs que j'enfilais par perles autour du cou, c'était notre secret, ne pas le dire à ma mère, et la faire passer pour quelques jours de week-end pour une méchante mère qui ouvre le courrier de sa fille pour voir si elle n'a pas un petit copain. Et le retour, d'un soulagement au bord de l'innaceptable, retrouver sa vraie famille, sa chambre coquette à la moquette épaisse, son lit imbriqué dans le mur fabriqué par le papa que j'appelle ainsi depuis que j'ai 5 ans et que je cache à mon vrai père, des câlins de mon petit frère qui me répète qu'il est content de me voir revenir, et moi qui pleure dans ses cheveux à lui aussi, trop blonds, trop fins. Dans la famille à mon père, ils sont tous bruns, ce n'est pas la bonne famille.

Et je culpabilise. Et je m'en veux tant de les haïr de ne pas m'avoir aimée comme il le fallait, de m'avoir bousillée mes rêves d'enfants.

J'suis transpercée.

Et demain ne sera plus un dimanche, et cela je n'y penserai même plus.

~ Oreille ~ Cash Machine ~ Hard-Fi

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